A propos de Cour de cassation, 7 mars 2018, n° 16-16.645

Le 15 janvier 2013, le Tribunal de commerce de Paris avait rendu, à propos d’une offre proposée par SFR dans le cadre de ses prestations de téléphonie mobile, une décision dont la rigueur juridique était contestable (« Et si free avait tout compris ? » Christophe Pecnard, Agathe Duperray, Les Petites Affiches n° 49, 8 mars 2013, p. 3 et s.). Cette offre consistait à proposer aux consommateurs d’acheter un téléphone mobile à un « prix attractif » par rapport au prix de référence, et de souscrire un abonnement mensuel « un peu plus cher » que l’abonnement proposé sans téléphone mobile, durant 24 mois. Selon l’opérateur concurrent Free, par cette formule, SFR proposait aux consommateurs, de façon déguisée, un crédit à la consommation sans respecter les dispositions du Code de la consommation, en ne donnant pas les informations précontractuelles et contractuelles requises en la matière, ce qui devait s’analyser en une publicité illicite et déloyale. Free faisait le reproche à SFR de dissimuler une opération de crédit derrière un mécanisme promotionnel passablement opaque et posait ainsi au Tribunal la question de savoir si cette offre ne constituait pas une opération de crédit déguisée. Pour répondre à cette question le Tribunal aurait naturellement dû commencer par analyser les caractéristiques de l’offre afin de la qualifier juridiquement et d’en tirer les conséquences. Mais, au terme d’une démonstration plutôt déroutante, le Tribunal avait refusé de suivre l’analyse de Free. Au lieu de qualifier l’opération en fonction de sa nature et de ses caractéristiques (pour ensuite en déduire les règles applicables et apprécier notamment si sa présentation était conforme à ces règles), par un raisonnement à rebours contestable, le Tribunal avait qualifié l’opération à partir de sa présentation. Ainsi, l’offre de SFR avait échappé à la qualification d’opération de crédit parce qu’elle n’était pas présentée comme telle.

Deux ans plus tard, par une décision du 9 mars 2016, la Cour d’appel de Paris, adoptant un raisonnement un peu plus rigoureux, confirmait néanmoins la décision du Tribunal de commerce de Paris. Pour exclure la qualification de crédit à la consommation, la Cour relevait notamment, que le contrat d’abonnement était expressément exclu de la définition de l’article L. 311-1, 4° (nouvellement L. 311-1, 6°) du Code de la consommation, que le prix du téléphone affiché était effectivement payé comptant, que la propriété du téléphone était transférée instantanément et définitivement à l’acquéreur, sans obligation de le restituer en cas de résiliation de l’abonnement avant son terme, que le prix de l’abonnement n’était pas corrélé à celui du téléphone, qu’il n’existait pas d’obligation ferme de payer l’abonnement jusqu’à son terme, celui-ci pouvant être résilié dans certains cas, ou encore que le montant de l’avance n’était pas connu, l’abonnement pouvant être résilié pour des motifs imprévisibles. La Cour en concluait que « les conditions nécessaires à la qualification d’opération de crédit, soit l’avance d’une partie déterminée du prix du mobile acquis avec obligation corrélative de remboursement [n’étaient] pas réunies ».

Mais par un arrêt du 7 mars 2018, la Cour de cassation est venue casser cette démonstration et a renvoyé l’analyse au fond à la Cour d’appel de Paris, autrement composée. Pour ce faire, la Cour Suprême se fonde sur trois éléments. Tout d’abord, elle reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir vérifié « si le report du prix d’achat du mobile sur le prix de l’abonnement en cas d’acquisition d’un terminal mobile à un prix symbolique n’était pas établi par le fait que la majoration mensuelle du forfait imposée au consommateur était concomitante à la réduction substantielle du prix du mobile ». Poussant l’analyse, et laissant peu de marge d’interprétation à la Cour de renvoi, la Cour de cassation estime non seulement qu’aucune autre explication rationnelle ne pouvait être invoquée, mais en outre qu’il en résulterait que SFR s’assurait effectivement « du remboursement des sommes qu’elle avait avancées au moment de la vente du terminal mobile en obtenant de ses clients la souscription d’un forfait majoré pour une durée de douze ou vingt-quatre mois ». Elle exclut ainsi de l’analyse l’aléa susceptible d’affecter le remboursement des sommes avancées et soulevé par la Cour d’appel, qu’elle considère comme « théorique ou en tous cas limité ». Ensuite, la Cour de cassation rappelle que le transfert immédiat de la propriété du bien financé, à l’emprunteur, n’est pas incompatible avec la qualification d’opération de crédit. Enfin, elle considère que l’opération en cause, qui consiste en la fourniture d’un téléphone dont le prix est payé par des versements échelonnés intégrés dans la redevance mensuelle d’un abonnement souscrit pour un service associé, ne relève pas de l’exclusion prévue au nouvel article L. 311-1, 6°.

La Cour de cassation rappelle ainsi à l’ordre les juges du fond qui s’étaient laissés influencer par la présentation de l’opération proposée par SFR, au détriment d’une analyse strictement juridique. Mais surtout, elle recentre le débat avec bon sens : le téléphone n’est proposé par SFR à un « prix attractif » qu’en contrepartie de l’engagement du consommateur de souscrire un abonnement « un peu plus cher », pendant une certaine durée. Dans ce schéma, le consommateur ne paie qu’une part du prix réel du téléphone lors de l’achat et se voit accorder par SFR un délai de paiement pour la part restante, correspondant à la durée de l’abonnement. Autrement dit, le consommateur se voit de facto accorder par SFR un crédit à la consommation, remboursable sur 12 ou 24 mois, via une majoration du prix de son abonnement.

Par cette décision, la Cour de cassation s’inscrit dans la droite ligne d’une jurisprudence constante qui vise avant tout à protéger le consommateur en exigeant du professionnel qu’il lui communique une information claire et complète. Car si, comme c’est probable, la qualification de crédit à la consommation est maintenue par le Cour de renvoi, SFR et ses concurrents qui ont développé des pratiques similaires, seront notamment dans l’obligation d’ajouter à leurs publicités l’information obligatoire prévue aux articles L. 312-5 et suivants du Code de la consommation, visant à s’assurer que le consommateur a bien conscience de l’engagement qu’il prend.