L’Ordonnance n°2017-748 du 4 mai 2017 (l’« Ordonnance »), prise en application de la loi « Sapin II » [i] confirme la nouvelle volonté commune de développer l’attractivité du droit français en matière de financements syndiqués et s’emploie notamment à améliorer le dispositif français de l'agent des sûretés en abrogeant l’article 2328-1 du Code civil[ii]. L’Ordonnance instaure ainsi un nouveau régime (Articles 2488-6 à 2488-12 du Code civil) plus souple qui entrera en vigueur le 1er octobre 2017 et profitera aux différents acteurs d’un financement syndiqué.

Le législateur français était déjà intervenu une première fois avec la loi n°2007-211 du 19 février 2007[iii], modifiée par la loi « LME »[iv] pour tenter de transposer le mécanisme du security trustee utilisé par les droits étrangers anglo-saxon, allemand ou néerlandais avec le mécanisme de la parallel debt

Le mécanisme mis en place par cette loi a vite atteint ses limites et a été immédiatement contesté par les praticiens qui l’ont très peu utilisé. Les principales faiblesses mises en avant étaient les suivantes : (i) il s’agissait d’une opération juridiquement difficile à qualifier et associée à un régime imprécis (incertitude entre le mandat, la fiducie et une institution sui generis), (ii) les prérogatives de l’agent des sûretés étaient limitées aux sûretés réelles, (iii) l’acte constatant la créance garantie devait mentionner l’identité de l’agent des sûretés, (iv) les conditions du remplacement de l’agent des sûretés n’étaient pas définies, et (v) l’incertitude quant à l'étendue du pouvoir de l’agent des sûreté en matière d'actions en justice et de déclaration des créances à la procédure collective du débiteur insolvable demeurait.

L’amélioration du régime de l’agent des sûretés

Les prérogatives élargies de l’agent des sûretés

- En cas d’intervention de plusieurs créanciers au sein d’une opération de financement, le recours à un agent des sûretés est permis pour prendre, inscrire, gérer et réaliser les sûretés garantissant cette opération[v].

- Le mécanisme est étendu à toutes les sûretés et garanties et n’est plus limité aux seules sûretés réelles. Outre les sûretés personnelles, l’agent des sûretés pourra également, le cas échéant, inscrire, gérer et réaliser des promesses de sûretés et de sûretés de droit étranger. Il pourra également être cessionnaire de créances professionnelles cédées à titre de garantie ou encore délégataire de créances sécurisant l’obligation garantie.

- Aucune incidence à constater en cas de transfert de participation ou de changement de prêteurs membres d’un syndicat bancaire, puisque l’agent agit désormais en son nom propre pour le compte des prêteurs (y compris leurs ayant-droits et cessionnaires).

- Répondant favorablement à la demande des praticiens, il n’est plus requis de désigner l’agent des sûretés dans l’acte matérialisant l’obligation garantie. En effet, un acte distinct de celui de l’obligation garantie peut désormais avoir cette vocation, ce dernier pouvant être conclu en amont ou postérieurement à la naissance de l’obligation garantie. Cette souplesse a été demandée par les praticiens pour les besoins des financements syndiqués où la désignation et les pouvoirs de l’agent des sûretés figurent traditionnellement au sein d’une convention multipartite intervenant entre les créanciers financiers et les actionnaires de l’emprunteur.

La nature juridique de l’agent des sûretés précisée

- L’agent des sûretés dispose des mêmes pouvoirs qu’un fiduciaire et à ce titre il sera titulaire direct des sûretés et garanties constituées au bénéfice des créanciers de l’obligation garantie.

- Dans l’intérêt des créanciers bénéficiaires, les sûretés et garanties seront transférées dans un patrimoine d’affectation distinct du patrimoine propre de l’agent des sûretés. Cette reconnaissance légale permettra de ne pas avoir à modifier les sûretés et garanties dans l’hypothèse fréquente d’un changement de créanciers bénéficiaires et de pouvoir ainsi intervenir pour le compte de tout cessionnaire ultérieur de l’obligation garantie.

- Tout produit reçu par l’agent des sûretés au titre de la gestion et/ou de la réalisation des sûretés et des garanties entrera dans ce patrimoine d’affectation.

- Les articles 2011 et suivants du Code civil relatifs aux formalités de la fiducie de droit commun ne s’appliquent pas, conférant à l’agent des sûretés un statut de « fiduciaire spécial ».

- Aucune exigence n’est posée par l’Ordonnance ou la loi « Sapin II » quant à la qualité requise pour agir comme agent des sûretés permettant à toute personne physique ou morale de remplir cette fonction.

Le formalisme simplifié du régime

- La convention par laquelle les créanciers désignent l’agent des sûretés doit être constatée par écrit, et ce à peine de nullité[vi]. Les créanciers doivent mentionner expressément la qualité d’agent des sûretés de leur cocontractant afin d’éviter la confusion avec d’autres contrats (mandat ou fiducie de droit commun). Ils devront également préciser l’objet de la mission de l’agent des sûretés, sa durée et l’étendue de ses pouvoirs.

- Lorsqu’il agit au profit des créanciers, l’agent des sûretés doit faire mention de sa qualité pour informer les tiers[vii].

- L’agent des sûretés peut exercer, dans la limite des pouvoirs conférés par les créanciers dans le contrat de désignation, tous droits, ester en justice au bénéfice des créanciers de l’obligation garantie et peut en cas d’ouverture d’une procédure collective, procéder à la déclaration des créances[viii] sans avoir à obtenir de mandat spécial des créanciers bénéficiaires.

Conséquences juridiques de l’existence d’un patrimoine d’affectation

- La saisine des biens et droits acquis par l’agent des sûretés dans le cadre de sa mission est réservée aux seuls titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ces biens et droits[ix]. Une exception existe cependant au bénéfice des créanciers qui pourraient être titulaires d’un droit de suite par l’effet d’une sûreté sur un bien du patrimoine affecté et en cas de fraude aux droits de ces créanciers.

- En cas d’ouverture d’une procédure collective à son encontre, seul le patrimoine personnel de l’agent des sûretés pourra répondre des dettes impayées de ce dernier. Les actifs et droits figurant au patrimoine affecté ne pourront donc pas être appréhendés par les créanciers inscrits à une procédure collective de l’agent des sûretés.

Défaillance de l’agent des sûretés

En l’absence de stipulation dans l’acte visant les modalités de remplacement de l’agent des sûretés, et si celui-ci manque à ses devoirs ou fait l’objet d’une procédure collective ou de rétablissement professionnel, tout créancier bénéficiaire des sûretés et garanties pourra demander en justice la désignation d’un agent des sûretés provisoire ou son remplacement définitif[x]. Le cas échéant, s’opèrera de plein droit la transmission du patrimoine affecté au nouvel agent des sûretés.

Régime de responsabilité de l’agent des sûretés

L’agent des sûretés est responsable des fautes commises dans l’accomplissement de sa mission conformément au droit commun de la responsabilité civile. A l’exception de toute faute lourde ou dolosive, et sous réserve que le manquement concerné ne prive pas de sa substance les obligations essentielles de l’agent des sûretés[xi], la responsabilité contractuelle[xii] de ce dernier pourra être limitée à travers une clause limitative de responsabilité. L’agent des sûretés engagera par ailleurs, son propre patrimoine, pour tout manquement à ses obligations et/ou fautes commises dans l’accomplissement de sa mission.

Le législateur français ouvre avec ce nouveau corpus législatif une nouvelle brèche pour développer et assouplir le financement syndiqué en droit Français. Il sera intéressant d’observer dans les mois à venir si les praticiens répondent favorablement à ce nouveau mécanisme et plus particulièrement s’il parvient à restaurer l’attractivité du droit français pour les financements syndiqués dans le cadre d’opérations transnationales.