Le principe « pollueur payeur » a fait l’objet de plusieurs tentatives d’assouplissement à l’occasion des réformes législatives débattues cette année.
A l’heure où l’intégration prochaine du préjudice écologique dans le code civil est une réalité, il est apparu justifié d’accompagner l’objectif de dépollution effective des terrains pollués par un fléchissement du principe pollueur payeur. La loi ALUR du 24 mars 2014 a ainsi créé la possibilité pour l’exploitant d’une Installation Classée pour la Protection de l’Environnement (ICPE) de transférer l’obligation de remise en état du terrain à son futur acquéreur.
Pragmatisme écologique vs. Dogmatisme idéologique : c’est un vieux débat qui se joue, chaque camp plaidant au nom du développement durable et de la protection de l’environnement. Mais comment concilier cet impératif avec le maintien d’un développement économique socialement viable ? La question de l’équilibre entre ces différents impératifs, parfois complémentaires mais souvent opposés, est plus que jamais d’actualité.
La possibilité de transfert de l’obligation de remise en état vers l’acquéreur d’un terrain pollué constitue ainsi une certaine « atteinte » au principe pollueur payeur, mais celle-ci semble in fine justifiée par des objectifs tant économiques qu’environnementaux.
L’obligation de remise en état par l’exploitant d’une ICPE
La cessation d’activité d’une Installation Classée pour la Protection de l’Environnement (ICPE) fait naître une obligation de mise en sécurité, et de remise en état du site incombant à l’exploitant de l’installation. Cette obligation de remise en état, prévue aux articles L512-12-1, L 512-7-6 et L 512-6-1 du code de l’environnement, doit permettre un usage futur du site comparable à la dernière période d'activité de l'installation mise à l’arrêt.
L’usage futur du site peut également être déterminé conjointement avec le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'urbanisme et, s'il ne s'agit pas de l'exploitant, le propriétaire du terrain sur lequel est sise l'installation. En ce cas, la remise en état du site doit permettre d’utiliser celui-ci conformément à cet usage futur. Cependant, un tel accord n’est pas obligatoire et la référence reste, à défaut, celle de l’usage comparable à la dernière période d’activité de l’installation mise à l’arrêt.
Ces dispositions rendent souvent difficile la réhabilitation des anciens sites industriels, l’exploitant n’ayant pas d’intérêt à alourdir son obligation de remise en état en vue de permettre une utilisation différente du site. Elles ont pour conséquence d’induire un risque de création de zones de friches industrielles, le terrain n’étant parfois pas appelé à recevoir de nouvelle activité industrielle et ne bénéficiant pour autant d’aucune remise en état permettant d’accueillir d’autres activités.
En permettant le transfert de l’obligation de remise en état de l’exploitant à l’acquéreur du site, l’objectif de la loi ALUR a été de faciliter la réhabilitation et la réutilisation d’anciens sites industriels, en lieu et place d’espaces vierges, pour la création, notamment, de logements.
En application de ces textes, le fonds d’investissement Gingko, spécialisé dans la réhabilitation durable de friches industrielles lourdement polluées en milieu urbain, a annoncé le 11 mai dernier à Lyon le lancement officiel de son deuxième programme d'investissement. Ce fonds vise les 140 millions d’euros levés d’ici la fin de l’année 2016 et espère créer, grâce à ce programme, environ 350.000 m² de nouveaux droits à construire et 5.000 logements.
La possibilité de transfert de l’obligation de remise en état à un tiers demandeur
La procédure instaurée par la loi ALUR vise ainsi à encourager les aménageurs et constructeurs à construire sur d’anciennes zones industrielles, au lieu d’investir des espaces vierges ou sensibles. L’article L512-21 du code de l’environnement, créé par la loi ALUR, autorise tout tiers intéressé à demander au représentant de l'Etat dans le département de se substituer à l'exploitant, avec son accord, pour réaliser les travaux de réhabilitation en fonction du futur usage que ce tiers envisage pour le terrain concerné.
L’obligation de remise en état du site peut ainsi être transférée de l’exploitant, lequel n’a pas d’intérêts particuliers à exposer des dépenses supplémentaires pour assurer une remise en état du site et permettre l’exercice d’une activité différente, vers l’acquéreur du terrain, lequel aura, au contraire, procédé à cette acquisition en vue de l’exercice d’une nouvelle activité.
Comment opérer ce transfert d’obligation ?
Définition de l’usage futur du site - Le tiers demandeur doit en premier lieu recueillir l'accord du dernier exploitant sur le ou les types d’usages futurs qu’il envisage. Dans certains cas, et notamment lorsque le ou les types d'usages envisagés par le tiers demandeur ne sont pas ceux définis dans l'arrêté d'autorisation ou d'enregistrement de l'installation, le tiers demandeur doit également recueillir l'accord de l’autorité administrative communale en charge de l’urbanisme et, s'il ne s'agit pas du dernier exploitant, celui du propriétaire du terrain sur lequel est située l'installation. Une fois ces accords préalables obtenus, le tiers demandeur adresse au préfet une demande d’accord préalable comprenant les accords recueillis et spécifiant le ou les types d'usages futurs envisagés pour le site, ce compris l'étendue du transfert des obligations de réhabilitation et de surveillance. Le préfet détermine ensuite le ou les types d'usage futur du site, au vu de la proposition du tiers demandeur, des documents d'urbanisme et de l'utilisation des terrains situés au voisinage du site.
Définition des travaux et garanties financières - En cas d’acceptation de la demande préalable par le Préfet, le tiers demandeur lui transmet alors un dossier comprenant notamment :
- Un mémoire présentant l'état des sols et des eaux souterraines et les mesures de gestion de la pollution à mettre en œuvre pour assurer la compatibilité entre l'état des sols et des eaux souterraines et le ou les usages futurs ;
- Une estimation du montant des travaux de réhabilitation ;
- Une estimation de la durée des travaux de réhabilitation ;
- Un document présentant ses capacités techniques et financières.
Au vu du dossier transmis par le tiers demandeur et de l'accord du dernier exploitant, le préfet statue alors sur la substitution et définit, par arrêté, les travaux à réaliser, le délai dans lequel ces travaux doivent être mis en œuvre, ainsi que le montant et la durée des garanties financières.
Constitution de garanties financières - Le texte précise les types de garanties financières devant être fournies par le tiers demandeur : engagement de garantie à première demande émanant par exemple d’une banque ou d’un assureur, consignation à la Caisse des dépôts et consignations etc. Ces garanties pourront être actionnées par le préfet si le tiers demandeur ne remplit pas ses obligations, ou s’il disparaît.
Les garanties financières sont actuellement proposées, en matière d’ICPE, par divers opérateurs du marché bancaire et assurantiel, parmi lesquels peuvent notamment être cités la société EULER HERMES, la société ALTRADIUS ou encore la société FRANCE CAUTION. Cette obligation de garanties financières, à laquelle étaient déjà soumis les exploitants de certaines ICPE, ne devrait donc pas soulever de difficultés particulières.
Report de l’obligation sur l’exploitant en cas de défaillance du tiers acquéreur - En cas de défaillance de l’acquéreur, et d’impossibilité de faire appel aux garanties financières, l’obligation de remise en état du site sera reportée sur l’exploitant, ce mécanisme permettant d’apporter une garantie supplémentaire de préservation de l’intérêt général.
La subsistance de cette obligation résiduelle, mais néanmoins réelle constitue la véritable limite du système, l’exploitant pouvant toujours être recherché en cas de défaillance du tiers acquéreur et d’absence de mise en œuvre satisfactoire des garanties financières.
Un respect de l’objectif de développement durable -
L’une des critiques formulées à l’encontre de cette réforme a été l’atteinte au principe pollueur payeur qu’elle pouvait représenter : l’exploitant, pollueur du terrain, se voit en effet offrir la possibilité, sous certaines conditions, de faire peser le coût de la dépollution sur un tiers… Le pollueur n’est donc plus le payeur. Ne s’agit-il pas ici d’un faux procès ou d’une morale déplacée, dans la poursuite d’un objectif (dépollution et développement durable) qui doit au contraire céder le pas à davantage d’efficience ? D’une part, le coût de la dépollution du terrain sera nécessairement pris en compte dans le prix d’achat de celui-ci : il est donc inexact de soutenir que l’ancien exploitant pollueur s’en tirerait nécessairement à bon compte. D’autre part, le respect du principe pollueur payeur doit être apprécié à la lumière des objectifs qui le sous-tendent, et n’a de sens qu’à travers son efficacité à participer à ces objectifs. Ce principe ne saurait en effet s’interpréter comme une volonté de « punir » l’exploitant d’une installation polluante en lui faisant supporter le coût de remise en état du terrain. Il doit en revanche permettre d’assurer une mise en sécurité et une dépollution effective de terrains qui constitueront à défaut de possibles futures friches industrielles polluées et laissées à l’abandon. Le mécanisme ainsi créé doit donc s’inscrire plus largement dans une logique de développement durable et permettre de concilier les impératifs de développement économique et de protection de l’environnement.
La création par la loi ALUR d’une possibilité de transfert de l’obligation de remise en état semble permettre cette conciliation : l’objectif est de permettre à une activité économique nouvelle de s’installer sur des zones laissées en friche, tout en assurant au préalable une dépollution effective de ces zones par la partie qui y trouve un intérêt économique. La réappropriation, par les investisseurs, de terrains pollués, afin d’éviter le grignotage progressif des espaces naturels préservés, apparait ici comme un objectif parfaitement légitime justifiant l’aménagement du sacro sain principe « pollueur payeur », dont la cristallisation pourrait conduire à un déséquilibre entre les impératifs composant la notion de développement durable. L’atteinte formelle au principe du pollueur payeur devrait ainsi permettre, in fine, de tendre vers la réalisation des objectifs ayant justifié sa création.