La Cour de cassation approuve un arrêt qui, après avoir relevé le caractère excessif du message qui était publié sur un site accessible à tout public, et dont les termes étaient tant déloyaux que malveillants à l’égard de l’employeur, en a déduit que le salarié qui en était l’auteur avait abusé de sa liberté d’expression.

Un salarié français est licencié pour faute grave.

Motif : il a mis en ligne un commentaire peu amène pour son employeur : « Une agence de communication comme les autres… en apparence. Bien que perdue au fond d’une zone industrielle, sans commerce à proximité, les locaux sont agréables, le matériel correct, les équipes sympas. Rien à redire de ce côté-là ; les journées sont agréables. C’est en regardant sur le long terme que cela se gâte. La direction est drastique à tous points de vue. Salaire minimum, aucune prime, ni même d’heures sup payées (sauf celles du dimanche pour les téméraires !!!)… L’agence ne possède même pas de site Internet. Le comble pour une entreprise de ce secteur ! Le client est roi en toutes circonstances, peu importe qu’il faille travailler à perte, et votre travail sera parfois descendu devant le client. Rien n’incite à la motivation, si ce ne sont que les promesses jamais tenues. Mais ça ne fait qu’un temps. La direction ne s’en cache pas: « votre motivation c’est de garder votre boulot ». Pour preuve, le turn-over incessant : “un départ par mois en moyenne, pour un effectif moyen d’une vingtaine de personnes” »

L’employé se défend, voyant dans les proposés litigieux tout au plus « une appréciation d’un salarié, cadre, sur la politique salariale de son employeur et un désaccord quant au paiement des heures supplémentaires, à l’exclusion de tout propos injurieux, diffamatoire ou excessif (…). »

Le salarié refuse donc d’y voir une faute grave, c’est-à-dire « celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. »

L’affaire aboutit devant la Cour de cassation.

Tout est dans l’équilibre …

Celle-ci reconnait implicitement l’existence d’une liberté d’expression y compris en ce qui concerne les relations de travail.

Il faut dire que la jurisprudence de Strasbourg est bien établie :

  • La protection de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention s’étend à la sphère professionnelle en général, y compris aux fonctionnaires (voir, parmi d’autres : Vogt c. Allemagne, arrêt du 26 septembre 1995 ; Ahmed et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 2 septembre 1998 ; Wille c. Liechtenstein, arrêt (Grande Chambre) du 28 octobre 1999 ; Fuentes Bobo c. Espagne, arrêt du 29 février 2000).
  • Néanmoins les salariés ont un devoir de loyauté, de réserve et de discrétion envers leur employeur. Cela vaut en particulier pour les fonctionnaires, dès lors que la nature même de la fonction publique exige de ses membres une obligation de loyauté et de réserve (De Diego Nafría c. Espagne, arrêt du 14 mai 2002).

C’est précisément la recherche d’un équilibre entre deux valeurs égales qui permet à la Cour de cassation de juger que « ayant relevé le caractère excessif du message qui était publié sur un site accessible à tout public, et dont les termes étaient tant déloyaux que malveillants à l’égard de l’employeur, [la Cour d’appel] a pu en déduire que l’intéressé, directeur artistique de l’entreprise, avait abusé de sa liberté d’expression et, ayant fait ressortir que l’employeur avait agi dans un délai restreint, que ce manquement rendait impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et constituait une faute grave, excluant par là même toute autre cause de licenciement ».

En résumé, dans la relation de travail, la liberté d’expression de l’employé s’arrête là où commence le dénigrement, l’injure, la malveillance, la déloyauté ou encore l’indiscrétion.

Plus d’infos ?

En lisant l’arrêt disponible en annexe.