1. CONTENTIEUX ACTION EN FOLLOW-ON : ABSENCE DE RÉPARATION POUR LES SOCIÉTÉS DU GROUPE COLAS DANS L’AFFAIRE DU CARTEL DES CAMIONS
Dans un jugement remarqué du 27 octobre 2022, le tribunal de commerce de Lyon a rejeté l’action en réparation introduite par les sociétés du groupe Colas contre les constructeurs de camions, condamnés pour entente par la Commission européenne à une amende de 2,9 milliards d’euros. Au cas d’espèce, le groupe Colas demandait la réparation du préjudice subi des suites de l’entente. En effet, ces sociétés actives dans le BTP avaient acquis un nombre important de véhicules auprès des constructeurs incriminés, durant la période de l’infraction (1997-2011). Au soutien de ses prétentions, le groupe Colas avançait notamment qu’il aurait existé manifestement un lien direct entre les prix bruts et les prix nets appliqués aux clients finaux. En premier lieu et à l’instar de l’arrêt de la Cour de cassation dans son arrêt du 19 octobre 2022 (voir infra.), le tribunal lyonnais écarte d’emblée l’application de la directive « Dommages » du 26 novembre 2014, les faits reprochés étant antérieurs à son entrée en vigueur en France. Ensuite, pour rejeter sa demande, les juges retiennent que le groupe Colas n’a pas suffisamment rapporté la preuve de l’étendue du préjudice subi. Reprenant en détails le contrefactuel mis en avant par le demandeur, le tribunal énonce que la méthode de détermination du quantum comporte une addition d’incertitudes, voire d’empirismes. De plus, le tribunal rejette la demande de mesures d’instruction de Colas aux fins d’évaluation du préjudice dans la mesure où la preuve du lien de causalité entre la coordination des constructeurs et le préjudice de surcoût allégué n’est pas rapportée. Surtout, considérant spécifiquement ce lien de causalité, le tribunal rappelle que la décision de la Commission a condamné une infraction par objet, sans démontrer une corrélation automatique entre les prix bruts et les prix nets sur le marché des camions. Le tribunal souligne que si la présomption d’effets négatifs sur le marché est inhérente à la condamnation par objet prononcée par la Commission, la démonstration de leur existence incombe toutefois aux sociétés du groupe Colas. Or ces dernières ne démontrent pas de manière suffisante l’existence de cette corrélation des prix bruts et des prix nets sur le marché des camions. En conséquence, le tribunal estime que les sociétés du groupe Colas demeurent très éloignées des conditions probatoires requises pour prétendre à l’existence d’un préjudice certain de surcoût d’achats. Cette décision est, pour l’heure, la première décision française en follow-on dans cette affaire. ABSENCE DE RUPTURE BRUTALE EN CAS DE MODIFICATIONS NON SUBSTANTIELLES DES CONDITIONS COMMERCIALES AU COURS DU PRÉAVIS Le 7 décembre 2022, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt concluant à l’absence de rupture de relations commerciales lorsque des modifications non substantielles sont apportées durant l’exécution du préavis d’une négociation annuelle. Dans cette affaire, la société Concurrence, distributeur indépendant de produits électroniques grand public, était engagée contractuellement depuis le début des années 2000 avec la société Samsung Electronics France, dont elle distribuait les produits dans un point de vente physique et sur son site internet. Les relations s’étant ensuite détériorées, Samsung a notifié à Concurrence, en mars 2012, la rupture des relations commerciales assortie d’un préavis de 15 mois. Concurrence a alors tenté de faire valoir une rupture abusive de la relation contractuelle, sans respect du préavis fixé. La Cour d’appel de Paris n’a pas fait droit à cette demande, soulignant que les négociations annuelles sous-tendent une évolution des conditions commerciales et que de fait, aucun accord annuel n’est par principe immuable, y compris pendant le préavis.
BULLETIN CONCURRENCE VI | PARIS Octobre ● Novembre ● Décembre 2022 | 5 Confirmant la position de la Cour d’appel, la Cour de cassation retient que les modifications apportées aux conditions commerciales durant le préavis, au titre de la négociation annuelle, n’équivalaient pas à une rupture brutale si ces modifications n’étaient pas d’une importance portant atteinte à l’effectivité du préavis. « Lorsque les conditions de la relation commerciale établie entre les parties font l’objet d’une négociation annuelle, ne constituent pas une rupture brutale de cette relation les modifications apportées durant l’exécution du préavis qui ne sont pas substantielles au point de porter atteinte à l’effectivité de ce dernier. » La Cour suprême rappelle que Concurrence ne démontre pas que des conditions particulières lui avaient été accordées, ni que Samsung avait supprimé ces conditions durant l’exécution du préavis. Le pourvoi est ainsi rejeté. SUR LE POUVOIR D’AGIR DU MINISTRE DE L’ÉCONOMIE RELATIF AUX CENTRALES D’ACHAT À L’ÉTRANGER Dans le cadre d’un litige national opposant Eurelec (centrale de négociation du groupe E. Leclerc) au Ministre de l’Économie, la Cour d’appel de Paris a adressé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE »), laquelle a exprimé sa position le 22 décembre 2022. Dans cette affaire, le Ministre de l’Économie reprochait à Eurelec d’avoir soumis ses fournisseurs à un déséquilibre significatif en leur imposant des baisses de prix sans contrepartie et le droit belge comme loi applicable aux négociations, conduites en Belgique, motivée par la volonté de contourner les dispositions du droit français. Assignée devant le tribunal de commerce de Paris, Eurelec contestait la compétence de la juridiction française pour connaître de l’action du Ministre dans la mesure où la nature et l’objet de cette action, ainsi que les moyens de preuve utilisés par celui-ci à l’appui de cette action ne relevaient pas de la « matière civile et commerciale » et étaient ainsi hors du champ d’application du règlement Bruxelles I bis. Par jugement du 15 avril 2021, le tribunal de commerce avait rejeté l’exception d’incompétence. Eurelec a alors formé un recours devant la Cour d’appel de Paris. Celle-ci, considérant qu’un doute subsistait dès lors que le Ministre utilise des pouvoirs d’enquête spécifiques pour établir l’existence de pratiques constitutives d’un déséquilibre significatif et sollicite du juge judiciaire le prononcé d’une amende civile pour le faire sanctionner, a transmis une question préjudicielle à la CJUE. Cette question portait sur la compétence des juridictions françaises dans le cadre d’une action du Ministre fondée sur l’ancien article L. 442-6, I, 2° du code de commerce (maintenant L. 442-1, I, 2°), afin de savoir si cette action relevait ou non de la notion de matière civile et commerciale, entrant ainsi dans le champ d’application du règlement européen. Par son arrêt du 22 décembre 2022, la CJUE dit pour droit que l’action du Ministre sur ce fondement a pour objet la défense de l’ordre public économique et a été introduite en l’espèce sur la base d’éléments de preuve obtenus après opérations de visites et saisies exorbitantes de droit commun, même si elles sont préalablement autorisées par un juge, car elles ne peuvent être mises en œuvre par des personnes privées et que toute obstruction est punie d’une peine d’emprisonnement et d’une amende. La CJUE donne donc raison à Eurelec dans la mesure où l’action du Ministre n’apparaît pas recevable car exorbitante de droit commun. Cependant, la position de la CJUE ne préjuge pas de l’applicabilité du droit français à Eurelec dans le cadre de litiges civils ou commerciaux. PAS DE TROUBLE MANIFESTEMENT ILLICITE POUR GOOGLE ET SES NOUVELLES RÈGLES GOOGLE ADS A la faveur d’un arrêt du 19 octobre 2022, la Chambre commerciale de la Cour de cassation est venue confirmer la décision de la Cour d’appel de Paris du 15 janvier 2021, rejetant la demande de report de l’entrée en vigueur des nouvelles règles
BULLETIN CONCURRENCE VI | PARIS Octobre ● Novembre ● Décembre 2022 | 7 De même, la Cour d’appel a également réduit de manière signification la sanction infligée par l’Autorité dans sa décision n°20-D-04 (produits électroniques) : ESSILOR LUXOTTICA SANCTIONNÉE POUR ENTRAVE AU DÉVELOPPEMENT DE LA VENTE EN LIGNE DE VERRES CORRECTEURS Dans une décision du 6 octobre 2022, l’Autorité est venue sanctionner la société Essilor International SAS, à hauteur de 81 millions d’euros, pour des pratiques d’abus de position dominante sur le marché des verres optiques, entre 2009 et 2020. En l’espèce, l’Autorité retient une position dominante d’Essilor sur le marché français, pour la fabrication et la distribution en gros de verres optiques. Pour rappel, la fusion entre les deux entreprises en cause avait été autorisée par la Commission européenne dans une décision du 1er mars 2018. Si l’Autorité écarte le grief selon lequel Essilor aurait mis en place une pratique de diffusion d’un discours trompeur, elle retient néanmoins qu’Essilor a entravé le développement en France de la vente en ligne de verres correcteurs, en usant de pratiques discriminatoires, visant à favoriser un canal de vente alternatif et maintenant des niveaux de prix élevés. Ces pratiques se sont d’abord matérialisées par des restrictions de livraison et de vente de verres de marque à l’égard des opérateurs, ainsi que des restrictions en matière de communication, en empêchant les sites de vente d’utiliser le logo d’Essilor et de communiquer sur l’origine des verres. Enfin, Essilor avait subordonné la garantie produit pour les opérateurs de vente en ligne au respect d’un protocole de prise en charge conçu pour la vente en magasin. À l’égard de ces pratiques, l’Autorité note une très forte demande protectionniste de la part des opticiens physiques clients d’Essilor en France, alors qu’Essilor commercialisait ces types de verre à l’étranger, en partie sur des sites tiers. Cette décision fait actuellement l’objet d’un recours. ABSENCE DE PRÉSOMPTION DE PRÉJUDICE EN CAS D’ENTENTE VERTICALE Par un arrêt du 28 septembre 2022, la Chambre commerciale de la Cour de cassation affirme qu’une entente verticale entre un concédant et son concessionnaire ne vaut pas présomption de préjudice pour ce dernier. Dans cette affaire, une société spécialisée dans la fabrication et l’installation de menuiseries industrielles sur mesure et exploitant sa propre marque, avait conclu plusieurs contrats d’exploitation exclusive avec un concessionnaire. Ces contrats comprenaient notamment une clause de prix imposés, sous la forme de prix conseillés obligatoires, avec pour objet de faire obstacle à une fixation libre des prix, en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse. Dans un arrêt du 9 juin 2021, la Cour d’appel de Paris avait jugé qu’une entente entre concurrents reconnue en tant que telle, consacrait l’existence du préjudice commercial qui en découlait. Partant, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel. Elle dit pour droit, que pour condamner le concédant à indemniser son concessionnaire, il appartenait aux juges d'établir l’existence d’un préjudice subi par ledit concessionnaire. Aucune présomption de préjudice ne peut être inférée d’une entente verticale, à la différence d’une entente horizontale. TABLEAU N°1 AMENDE PRODUITS ÉLECTRONIQUES COMPOTES Amende totale infligée par l’Autorité (en M€) 1 241 58 Amende totale réduite par la Cour d’appel de Paris (en M€) 416 31 -46%-66%
BULLETIN CONCURRENCE VI | PARIS Octobre ● Novembre ● Décembre 2022 | 12 payante Canal + et d’accès à internet Mediaserv à des tarifs inférieurs aux tarifs pratiqués individuellement pour chacune de ces offres. Assignées par Orange en réparation du préjudice subi devant le tribunal de commerce de Paris, les sociétés du groupe Canal + en cause ont été condamnées à payer la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts et 50.000 € au titre du préjudice moral, pour avoir abusé de leur position dominante et contrevenu aux engagements souscrits devant l’Autorité. Rejetant le pourvoi des sociétés Canal +, la Cour de cassation rappelle que les engagements sont destinés à protéger le marché et que de fait, leur méconnaissance est constitutive d’une faute civile. L’arrêt ajoute que le non-respect de ces engagements crée nécessairement un préjudice pour les concurrents sur le marché en cause. « Le non-respect d’engagements auxquels l’Autorité a subordonné une opération de concentration, aux fins de garantir un fonctionnement concurrentiel du marché concerné par une telle opération, crée nécessairement un trouble commercial aux entreprises qui opèrent sur le marché en cause, constitutif d’un préjudice, fût-il seulement moral. » OUVERTURE D’UNE PHASE II POUR L’ENTREPRISE COMMUNE EURALIS / MAÏSADOUR Le 14 décembre 2022, l’Autorité a annoncé que ses services ouvraient une phase d’examen approfondi (phase II) de l’opération visant à constituer une entreprise commune entre Euralis et Maïsadour, pour regrouper leurs activités dans le domaine des canards gras. Il s’agit pour l’Autorité de sa 4e phase II depuis fin 2021. 3. INVESTIGATIONS VISITES ET SAISIES DEVANT L’AMF Aux termes de deux arrêts rendus en Assemblée plénière le 16 décembre 2022, la Cour de cassation vient préciser les modalités de saisie des documents, ordinateurs et téléphones lors de visites domiciliaires. Si ces pourvois concernent une procédure devant l’Autorité des Marchés Financiers, et non l’Autorité de la concurrence, ces nouveaux développements restent particulièrement pertinents au regard des enquêtes de concurrence. En l’occurrence, deux sociétés font l’objet d’une enquête devant l’AMF. À ce titre, le juge des libertés et de la détention avait autorisé les enquêteurs de l’AMF à procéder à une visite domiciliaire à l’occasion du conseil d’administration d’une de ces sociétés et à saisir tous les éléments susceptibles de caractériser la communication ou l’utilisation d’une information privilégiée. À cette occasion, ont également été saisis les ordinateurs et téléphones de membres de la seconde société en cause, participant aussi au conseil d’administration. La Cour de cassation dit pour droit, que les enquêteurs de l’AMF peuvent saisir les documents, ordinateurs et téléphones de personnes de passage dans un lieu déterminé faisant l’objet d’une ordonnance du JLD, sous certaines conditions : les éléments saisis doivent être en lien avec l’objet de l’enquête et se trouver dans le lieu désigné par le JLD ou être accessibles depuis ceux-ci. TABLEAU N°2 OPÉRATION DATE ISSUE Acquéreur : Mobilux Cible : Conforama 09/21 Autorisation (avril 2022) Acquéreur : Bouygues Cible : Métropole Télévision 03/22 Retrait en septembre 2022 Euralis / Maïsadour (entreprise commune) 12/22 Examen en cours
BULLETIN CONCURRENCE VI | PARIS Octobre ● Novembre ● Décembre 2022 | 13 « Il en résulte que sont saisissables les documents et supports d’information qui sont en lien avec l’objet de l’enquête et se trouvent dans les lieux que le juge a désignés ou sont accessibles depuis ceux-ci, sans qu’il soit nécessaire que ces documents et supports appartiennent ou soient à la disposition de l’occupant des lieux. » En conséquence, il n’est pas pertinent que les documents, ordinateurs et téléphones saisis n’appartiennent pas aux occupants des lieux visités, augmentant ainsi le risque de saisie de documents utiles par les enquêteurs. RÉALISATION D’OVS DANS LE SECTEUR DE L’APPROVISIONNEMENT EN LAIT DE VACHE Le 17 novembre 2022, les services d’instruction de l’Autorité ont procédé, après autorisation d’un juge des libertés et de la détention, à des opérations de visite et saisie inopinées auprès d’entreprises suspectées d’avoir mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de l’approvisionnement en lait de vache. À notre connaissance, ces OVS constituent les quatrièmes menées depuis fin 2021 par les services d’instruction de l’Autorité. TABLEAU N°3 DATE SECTEUR Novembre 2021 Grande distribution à dominante alimentaire Mai 2022 Agrofourniture Septembre 2022 Articles de maroquinerie Novembre 2022 Approvisionnement en lait de vache
BULLETIN CONCURRENCE VI | PARIS Octobre ● Novembre ● Décembre 2022 | 14 CONTRIBUTEURS FRÉDÉRIC PRADELLES ASSOCIÉ [email protected] Tél. +33 1 81 69 99 43 JACQUES BUHART ASSOCIÉ [email protected] Tél. +33 1 81 69 15 01 MATTHIEU ADAM COUNSEL [email protected] Tél. +33 1 81 69 15 24 MARY HECHT COLLABORATRICE [email protected] Tél. +33 1 81 70 15 89 NABIL LAKHAL COLLABORATEUR [email protected] Tél. +33 1 81 70 15 89 ADRIEN BARROCAS STAGIAIRE [email protected] Tél. +33 1 81 69 08 33 FRANCESCA CASALONE STAGIAIRE [email protected] Tél. +33 1 81 69 08 78
BULLETIN CONCURRENCE VI | PARIS Octobre ● Novembre ● Décembre 2022 | 15 This material is for general information purposes only and should not be construed as legal advice or any other advice on any specific facts or circumstances. No one should act or refrain from acting based upon any information herein without seeking professional legal advice. McDermott Will & Emery* (McDermott) makes no warranties, representations, or claims of any kind concerning the content herein. McDermott and the contributing presenters or authors expressly disclaim all liability to any person in respect of the consequences of anything done or not done in reliance upon the use of contents included herein. *For a complete list of McDermott entities visit mwe.com/legalnotices. ©2023 McDermott Will & Emery. All rights reserved. Any use of these materials including reproduction, modification, distribution or republication, without the prior written consent of McDermott is strictly prohibited. This may be considered attorney advertising. Prior results do not guarantee a similar outcome.