Par un arrêt rendu le 11 septembre 2014, la Cour de Justice de l’Union européenne (Cour) a annulé l’arrêt du Tribunal par lequel il a rejeté le recours du Groupement des cartes bancaires (Groupement) contre la décision de la Commission européenne (Commission) ayant retenu la participation du requérant à une infraction anticoncurrentielle par objet. En soulignant l’insuffisance du contrôle par le Tribunal sur la qualification d’infraction par objet de la pratique en cause, la Cour précise plus clairement le recours à la qualification d’infraction par objet.

Retenir l’existence d’une infraction par objet présente un avantage indéniable pour la Commission, car elle lui permet de s’exonérer de la démonstration des effets anticoncurrentiels de la pratique litigieuse. Dans certains cas, cela peut être compréhensible : il peut en effet exister des infractions dont le degré de nocivité est d’une évidence telle qu’il apparaît superflu de démontrer leurs effets – tel peut être le cas, par exemple, d’un accord sur les prix.

Ces dernières années cependant, la Commission a eu tendance à faire une utilisation de plus en plus fréquente de la qualification d’infraction par objet, aboutissant ainsi à un certain flou sur les contours de la notion. L’arrêt de la Cour dans l’affaire du Groupement des cartes bancaires représente un sérieux coup d’arrêt à cette évolution, et restaure ainsi le niveau du standard de preuve applicable.

Créé en 1984 pour assurer l’interopérabilité des systèmes de paiement et de retrait par cartes bancaires émises par ses membres, le Groupement a fait l’objet en octobre 2007 d’une décision de sanction de la Commission (Décision) pour sa participation à un accord secret anticoncurrentiel. Ce dernier, mis en place en 2002, visait à améliorer le fonctionnement du Groupement en instaurant trois mesures financières visant à compenser, dans ce marché biface (émission de cartes bancaires et acquisition de nouveaux commerçants), le fait que certains membres aient une activité d’émission supérieure à celle d’acquisition.

Dans la Décision, la Commission avait qualifié ces mesures tarifaires d’infraction anticoncurrentielle au regard de leurs objet et effets. A la suite du rejet par le Tribunal de son recours contre la Décision, le Groupement s’était pourvu devant la Cour. Bien lui en a pris, puisque cette dernière a annulé l’arrêt du Tribunal, considérant le contrôle par la juridiction de la qualification d’infraction par objet comme insuffisant. Au-delà du cas d’espèce, la Cour opère quelques précisions intéressantes s’agissant de l’analyse des restrictions par objet.

Au plan des principes généraux, l’arrêt critique tout d’abord le Tribunal pour avoir décidé que l’existence d’une restriction de concurrence par objet ne devait pas être analysée “de manière restrictive”, conclusion que le Tribunal avait cru pouvoir tirer du caractère “non-exhaustif” des exemples donnés par l’article 101 § 1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La Cour souligne également l’importance de l’expérience dans l’analyse des accords litigieux pour évaluer l’existence a priori d’effets suffisamment négatifs sur le marché.

S’agissant de la méthode d’identification des restrictions par objet, la Cour précise que le critère juridique “essentiel” réside dans “la constatation qu’une telle coordination présente, en elle-même, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence”. De jurisprudence établie, ce constat doit ressortir clairement (i) de la teneur des dispositions de l’accord en question, (ii) de ses objectifs, ainsi que (iii) du contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Un apport majeur de l’arrêt est de préciser que cette analyse en trois branches ne se confond pas avec l’identification des effets anticoncurrentiels potentiels de l’accord. Ainsi, le contenu de l’accord vise ses “termes mêmes” et ses “objectifs” sont bien ceux directement exprimés par les parties et non ceux, indirects, qu’il est (souvent) possible de soupçonner. Enfin, l’analyse du “contexte” doit essentiellement servir à conforter l’analyse des deux premiers critères, c’est-à-dire, selon l’avocat général Wahl qui avait pris des conclusions dans cette affaire, à conforter ou “neutraliser” les conclusions découlant du contenu et des objectifs de l’accord. On se souvient à cet égard des trois hypothèses pouvant “faire douter” de l’existence d’une infraction par objet envisagées par l’avocat général Trstenjak dans ses conclusions sous l’arrêt BIDS: (i) l’absence de concurrence ou de concurrence suffisante entre les parties à l’accord, (ii) l’existence d’effets ambivalents sur la concurrence (restriction et encouragement) de l’accord et (iii) le caractère accessoire de la restriction causée par l’accord par rapport à son objet principal.

En l’espèce, la Cour constate qu’au lieu de conduire une telle analyse “objective” du contenu et des objectifs des mesures en cause, le Tribunal a manqué, pour le premier, d’expliquer en quoi leurs “formules” mêmes faisaient clairement apparaître un degré suffisant de nocivité à la concurrence et, pour le second, d’appréhender l’objectif poursuivi tel que formulé par les parties. Or en recherchant à la place en quoi les mesures en cause étaient “susceptibles de restreindre la concurrence”, le Tribunal a confondu l’analyse de l’objet avec celle des effets, faisant par là même ressortir indirectement l’absence d’objet anticoncurrentiel en l’espèce. Au passage, la Cour en profite pour rappeler au Tribunal qu’il doit, en tout état de cause, bien contrôler la qualification juridique, par la Commission, de données de nature économique et donc implicitement ne pas se contenter de corroborer – ou non – les analyses économiques soumises par les requérants.

Si l’arrêt de la Cour n’est pas exempt d’incertitudes (la définition de ce que constitue un “degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence” ne manquera pas d’alimenter des débats ultérieurs), la volonté de préciser la grille d’analyse des restrictions par l’objet est louable et va assurément dans le bon sens quand on connaît la tendance de la Commission à recourir à cette qualification. La Cour rappelle clairement que les facilités procédurales qu’elle permet n’ont pas vocation à s’appliquer aux cas complexes et notamment à ceux pour lesquels la Commission ne dispose pas de suffisamment de recul. Au-delà de la bonne nouvelle pour le droit de la concurrence lui-même, cet arrêt vient aussi rappeler aux entreprises que l’alternative “objet/effet” demeure davantage qu’une simple formule rituelle sans portée.